[Text prepared by Ian Johnston, Malaspina University c. 2001. Reformatted in 2020 by George P. Landow].

Lorsque le voyageur parcourt ces plaines fécondes où des eaux tranquilles entretiennent par leur cours régulier une végétation abondante, et dont le sol, foulé par un peuple nombreux, orné de villages florissans, de riches cités, de monumens superbes, n'est jamais troubleé que par les ravages de la guerre ou par l'oppression des hommes en pouvoir, il n'est pas tenté de croire que la nature ait eu aussi ses guerres intestines, et que la surface du globe ait été bouleversée par des révolutions et des catastrophes; mais ses idées changent dès qu'il cherche à creuser ce sol aujourd'hui si paisible, ou qu'il s'élève aux collines qui bordent la plaine; elles se développent pour ainsi dire avec sa vue, elles commencent à embrasser l'étendue et la grandeur de ces événemens antiques dès qu'il gravit les chaînes plus élevées dont ces collines couvrent le pied, ou qu'en suivant les lits des torrens qui descendent de ces chaînes il pénètre dans leur intérieur.

Premières preuves des révolutions

Les terrains les plus bas, les plus unis, ne nous montrent, même lorsque nous y creusons à de très-grandes profondeurs, que des couches horizontales de matières plus ou moins variées, qui enveloppent presque toutes d'innombrables produits de la mer. Des couches pareilles, des produits semblables, composent les collines jusqu'à d'assez grandes hauteurs. Quelquefois les coquilles sont si nombreuses, qu'elles forment à elles seules toute la masse du sol: elles s'élèvent à des hauteurs supérieures au niveau de toutes les mers, et où nulle mer ne pourrait être portée aujourd'hui par des causes existantes: elles ne sont pas seulement enveloppées dans des sables mobiles, mais les pierres les plus dures les incrustent souvent et en sont pénétrées de toute part. Toutes les parties du monde, tous les hémisphères, tous les continens, toutes les îles un peu considérables présentent le même phénomène. Le temps n'est plus où l'ignorance pouvait soutenir que ces restes de corps organisés étaient de simples jeux de la nature, des produits conçus dans le sein de la terre par ses forces créatrices; et les efforts que renouvellent quelques métaphysiciens ne suffiront probablement pas pour rendre de la faveur à ces vieilles opinions. Une comparison scrupuleuse des formes de ces dépouilles, de leur tissu, souvent même de leur composition chimique, ne montre pas la moindre différence entre les coquilles fossiles et celles que la mer nourrit: leur conservation n'est pas moins parfaite; l'on n'y observe le plus souvent ni détrition ni ruptures, rien qui annonce un transport violent; les plus petites d'entre elles gardent leurs parties les plus délicates, leurs crêtes les plus subtiles, leurs pointes les plus déliées; ainsi non-seulement elles on vécu dans la mer, elles ont été déposées par la mer; c'est la mer qui les a laissées dans les lieux où on les trouve: mais cette mer a séjourné dans ces lieux; elle y a séjourné assez long-temps et assez paisiblement pour y former les dépôts si réguliers, si épais, si vastes, et en partie si solides, que remplissent ces dépouilles d'animaux aquatiques. Le bassin des mers a donc éprouvé au moins un changement, soit en étendue, soit en situation. Voilà ce qui résulte déjà des premières fouilles et de l'observation la plus superficielle.

Les traces de révolutions deviennent plus imposantes quand on s'élève un peu plus haut, quand on se rapproche davantage du pied des grandes chaînes.

Il y a bien encore des bancs coquilliers; on en aperçoit même de plus épais; de plus solides: les coquilles y sont tout aussi nombreuses, tout aussi bien conserveées; mais ce ne sont plus les mêmes espèces; les couches qui les contiennent ne sont plus aussi généralement horizontales: elles se redresent obliquement, quelquefois presque verticalement: au lieu que, dans les plaines et les collines plates, il fallait creuser profondément pour connaître la succession des bancs, on les voit ici par leur flanc, en suivant les vallées produites par leurs déchiremens: d'immenses amas de leurs débris forment au pied de leurs escarpemens des buttes arrondies, dont chaque dégel et chaque orage augmentent la hauteur.

Et ces bancs redressés qui forment les crêtes des montagnes secondaires ne sont pas posés sur les bancs horizontaux des collines qui leur servent de premiers échelons; ils s'enfoncent au contraire sous eux. Ces collines sont appuyées sur leurs pentes. Quand on perce les couches horizontales dans le voisinage des montagnes à couches obliques, on retrouve ces couches obliques dans la profondeur: quelquefois même, quand les couches obliques ne sont pas trop élevées, leur sommet est couronné par des couches horizontales. Les couches obliques sont donc plus anciennes que les couches horizontales; et comme il est impossible, du moins pour le plus grand nombre, qu'elles n'aient pas été formées horizontalement, il est évident qu'elles ont été relevées; qu'elle l'ont été avant que les autres s'appuyassent sur elles. (1)

Ainsi la mer, avant de former les couches horizontales, en avait formé d'autres, que des causes quelconques avaient brisées, redressées, bouleversées de mille manières; et, comme plusieurs de ces bancs obliques qu'elle avait formés plus anciennement s'élèvent plus haut que ces couches horizontales qui leur ont succédé, et qui les entourent, les causes, qui ont donné à ces bancs leur obliquité, les avaient aussi fait saillir au-dessus du niveau de la mer, et en avaient fait des îles, ou au moins des écueils et des inégalités, soit qu'ils eussent été relevés par une extrémité, ou que l'affaissement de l'extrémité opposée eût fait baisser les eaux; second résultat non moins clair, non moins démontré que le premier, pour quiconque se donnera la peine d'étudier les monumens qui l'appuient.


Created 2001

Last modified 15 January 2020