[Text prepared by Ian Johnston, Malaspina University c. 2001. Reformatted in 2020 by George P. Landow].

Examinons maintenant ce qui se passe aujoud'hui sur le globe; analysons les causes qui agissent encore à sa surface, et déterminons l'étendue possible de leurs effets. C'est une partie de l'histoire de la terre d'autant plus importante, que l'on a cru long-temps pouvoir expliquer, par ces causes actuelles, les révolutions antérieures, comme on explique aisément dans l'histoire politique les événemens passés, quand on connaît bien les passions et les intrigues de nos jours. Mais nous allons voir que malheureusement il n'en est pas ainsi dans l'histoire physique: le fil des opérations est rompu; la marche de la nature est changée; et aucun des agens qu'elle emploie aujourd'hui ne lui aurait suffi pour produire ses anciens ouvrages.

Il existe maintenant quatre causes actives qui contribuent à altérer la surface de nos continens: les pluies et les dégels qui dégradent les montagnes escarpées, et en jettant les débris à leurs pieds; les eaux courantes qui entraînent ces débris, et vont les déposer dans les lieux où elles ralentissent leur cours; la mer qui sape le pied des côtes élevées, pour y former des falaises, et qui rejette sur les côtes basses des monticules de sables; enfin les volcans qui percent les couches solides, et élèvent ou répandent à la surface les amas de leurs déjections (4).

Éboulements

Partout où les couches brisées offrent leurs tranchans sur des faces abruptes, il tombe à leur pied, à chaque printemps, et même à chaque orage, des fragmens de leurs matériaux, qui s'arrondissent en roulant les uns sur les autres, et dont l'amas prend une inclinaison déterminée par les lois de la cohésion, pour former ainsi au pied de l'escarpement une croupe plus ou moins élévée, selon que les chutes de débris sont plus ou moins abondantes; ces croupes forment les flancs des vallées dans toutes les hautes montagnes, et se couvrent d'une riche végétation quand les éboulemens supérieurs commencent à devenir moins fréquens; mais leur défaut de solidité les rend sujettes à s'ébouler elles-même quand elles sont minées par les ruisseaux; et c'est alors que des villes, que des cantons riches et peuplés se trouvent ensevelis sous la chute d'une montagne; que le cours des rivières est intercepté; qu'il se forme des lacs dans des lieux auparavant fertiles et rians. Mais ces grandes chutes heureusement sont rares, et la principale influence de ces collines de débris, c'est de fournir des matériaux pour les ravages des torrens.

Alluvions

Les eaux qui tombent sur les crêtes et les sommets des montagnes, ou les vapeurs qui s'y condensent, ou les neiges qui s'y liquéfient, descendent par une infinité de filets le long de leurs pentes; elles en enlèvent quelques parcelles, et y tracent par leur passage des sillons légers. Bientôt ces filets se réunissent dans les creux plus marqués dont la surface des montagnes est labourée; ils s'écoulent par les vallées profondes qui en entament le pied, et vont former ainsi les rivières et les fleuves qui reportent à la mer les eaux que la mer avait données à l'atmosphère. A la fonte des neiges, ou lorsqu'il survient un orage, le volume de ces eaux des montagnes subitement augmenté, se précipite avec une vitesse proportionée aux pentes; elles vont heurter avec violence le pied de ces croupes de débris qui couvrent les flancs de toutes les hautes vallées; elles entraînent avec elles les fragmens déjà arrondis qui les composent; elles les émoussent, les polissent encore par le frottement; mais, à mesure qu'elles arrivent à des vallées plus unies où leur chute diminue, ou dans des bassins plus larges où il leur est permis de s'épandre, elles jettent sur la plage les plus grosses de ces pierres qu'elles roulaient; les débris plus petits sont déposés plus bas; et il n'arrive guère au grand canal de la rivière que les parcelles les plus menues, ou le limon le plus imperceptible. Souvent même le cours de ces eaux, avant de former le grand fleuve inférieur, est obligé de traverser un lac vaste et profond, où leur limon se dépose, et d'où elles ressortent limpides. Mais les fleuves inférieurs, et tous les ruisseaux qui naissent des montagnes plus basses, ou des collines, produisent aussi, dans les terrains qu'ils parcourent, des effets plus ou moins analogues à ceux des torrens des hautes montagnes. Lorsqu'ils sont gonflés par de grandes pluies, ils attaquent le pied des collines terreuses ou sableuses qu'ils rencontrent dans leur cours, et en portent les débris sur les terrains bas qu'ils inondent, et que chaque inondation élève d'une quantité quelconque: enfin, lorsque les fleuves arrivent aux grands lacs ou à la mer, et que cette rapidité qui entraînait les parcelles de limon vient à cesser tout-à-fait, ces parcelles se déposent aux côtés de l'embouchure; elles finissent par y former des terrains qui prolongent la côte; et, si cette côte est telle que la mer y jette de son côté du sable, et contribue à cet accroissement, il se crée ainsi des provinces, des royaumes entiers, ordinairement les plus fertiles, et bientôt les plus riches du monde, si les gouvernemens laissent l'industrie s'y exercer en paix.

Dunes

Les effets que la mer produit sans le concours des fleuves sont beaucoup moins heureux. Lorsque la côte est basse et le fond sablonneux, les vagues poussent ce sable vers le bord; à chaque reflux il s'en dessèche un peu, et le vent qui souffle presque toujours de la mer en jette sur la plage. Ainsi se forment les dunes, ces monticules sablonneux qui, si l'industrie de l'homme ne parvient à les fixer par des végétaux convenables, marchent lentement, mais invariablement, vers l'intérieur des terres, et y couvrent les champs et les habitations, parce que le même vent qui élève le sable du rivage sur la dune jette celui du sommet de la dune à son revers opposé à la mer: que si la nature du sable et celle de l'eau qui s'élève avec lui sont telles qu'il puisse s'en former un ciment durable, les coquilles, les os jetés sur le rivage en seront incrustés; les bois, les troncs d'arbres, les plantes qui croissent près de la mer seront saisis dans ces agrégats; et ainsi naîtront ce que l'on pourra appeler des dunes durcies, comme on en voit sur les côtes de la Nouvelle-Hollande. On peut en prendre une idée nette dans la description qu'en a laissée feu Péron (5).

Falaises

Quand, au contraire, la côte est élevée, la mer, qui n'y peut rien rejeter, y exerce une action destructive: ses vagues en rongent le pied et en escarpent toute la hauteur en falaise, parce que les parties plus hautes se trouvant sans appui tombent sans cesse dans l'eau: elles y sont agitées dans les flots jusqu'à ce que les parcelles les plus molles et les plus déliées disparaissent. Les portions plus dures, à force d'être roulées en sens contraires par les vagues, forment ces galets arrondis, ou cette grêve qui finit par s'accumuler assez pour servir de rempart au pied de la falaise.

Telle est l'action des eaux sur la terre ferme; et l'on voit qu'elle ne consiste presque qu'en nivellemens, et en nivellemens qui ne sont pas indéfinis. Les débris des grandes crêtes charriés dans les vallons; leurs particules, celles des collines et des plaines, portées jusqu'à la mer; des alluvions étandant les côtes aux dépens des hauteurs, sont des effets bornés auxquels la végétation met en général un terme, qui supposent d'ailleurs la préexistence des montagnes, celle des vallées, celle des plaines, en un mot toutes les inégalités du globe, et qui ne peuvent par conséquent avoir donné naissance à ces inégalités. Les dunes sont un phénomène plus limité encore, et pour la hauteur et pour l'étendue horizontale; elles n'ont point de rapport avec ces énormes masses dont la géologie cherche l'origine.

Quant à l'action que les eaux exercent dans leur propre sein, quoiqu'on ne puisse la connaître aussi bien, il est possible cependant d'en déterminer jusqu'à un certain point les limites.


Created 2001

Last modified 15 January 2020