This review is reproduced here by kind permission of the author and the online inter-disciplinary journal Cercles, where it was first published. The original text has been reformatted and illustrated for the Victorian Web by Jacqueline Banerjee, who has also added the captions and links — and concurs with the reviewer's hope, expressed in the last sentence, that the book will soon be translated into English. Click on the images for larger pictures.



"Nous croyons en l'union de tous les travailleurs dans la cause nationaliste, et nous ne demandons qu'à la servir, dans l'un de ces quatre grands domaines quel qu'il soit [...]: la religion, l'éducation, les réformes sociales et la politique." De façon significative, l'ordre dans lequel sont énoncés ces grands domaines d'action correspond exactement à la chronologie de l'engagement progressif d'Annie Besant [...]. Chez elle, toutefois, un type d'engagement n'a pas chassé l'autre: ils se sont additionnés, sans se contredire, en une lutte spirituelle, sociale et politique cohérente. [238]

Ces mots résument parfaitement le trajet intellectuel et existentiel d'Annie Besant tel qu'il se développe tout au long de la monographie que lui consacrent Muriel Pécastaing-Boissière et Marie Terrier, cette dernière ayant rédigé le chapitre sur le socialisme de Besant. S'il ne s'agit pas de la première biographie en français d'une figure majeure de la vie politique, sociale et spirituelle victorienne,* il s'agit de la première biographie intellectuelle universitaire de Besant. À partir des textes autobiographiques de 1885 et 1893, M. Pecastaing-Boissière étudie de façon très complète les premières années de Besant, la perte de sa foi, puis son adhésion au sécularisme et à l'athéisme, avant sa découverte de la théosophie et sa conversion au bouddhisme. Comme souvent à l'époque, la foi chrétienne disparaît à la suite d'une interrogation sur la vérité biblique ; la conversion se produit pour des motifs éthiques.

Gauche: Annie Besant "From a painting by H. S. Mendelssohn... 1885" (Besant, frontipice). Droite: Charles Bradlaugh (Besant, face p. 212).

À travers des chapitres tout à la fois thématiques et chronologiques, M. Pecastaing-Boissière retrace les combats de Besant pour la liberté de conscience et d'expression menés avec Charles Bradlaugh. Avec beaucoup de finesse, l'auteur tord également le cou aux rumeurs d'une liaison entre les deux militants du sécularisme en rappelant que la recherche universitaire se fonde sur des faits, des preuves et ne recourt aux hypothèses limitées qu'en dernière instance. Le combat d'Annie Besant contre Frank, son mari, pour obtenir la garde de sa fille est également retracé car il va montrer à Besant la valeur d'un procès en justice: elle gagnera presque tous ceux qu'elle engagera par la suite. Très jeune, et pour conserver son autonomie financière, elle devient conférencière pour la National Secular Society; une pratique qu'elle poursuivra toute sa vie, devenant reconnue et influente, exerçant un charisme et une autorité spirituelle indéniables.

M. Terrier évoque quant à elle le parcours de Besant au sein du socialisme alors en pleine ébullition intellectuelle et politique dans les années 1880, passant du fabianisme à la Socialist League de William Morris. Cet engagement s'est accompagné de l'aide de Besant aux non-syndiqué-e-s, dont les célèbres fabricantes d'allumettes de Londres en 1887, avant qu'elle ne s'investisse dans la création du "nouveau syndicalisme" (New Unionism), au tournant des années 1880. Il s'est doublé de ses campagnes médiatiques avec le journaliste W.T. Stead, lui-même inventeur du "nouveau journalisme" (New Journalism) et premier journaliste d'investigation britannique. Besant créera et animera elle-même deux journaux: The Link et The Corner.

De gauche à droite: (a) "Norwich branch of the Socialist League" (Besant, face p. 314). (b) "Members of the Matchmakers' Union" (Besant, face p. 338). (c) "Strike Committee of the Matchmakers' Union" (Besant, face p. 336).

Dans la mosaïque politique des socialismes où elle arrive après avoir longtemps été une libérale millienne, Besant soutient une ligne collectiviste par amour du bien commun, de l'égalité, de la fraternité et de la liberté. Les Fabiens les plus emblématiques essaieront plus tard d'effacer son action de leur histoire, malgré les textes qu'elle a rédigés pour, et avec eux. Elle s'engage ensuite pour l'éducation et se fait élire au London School Board où elle siège de 1889 à 1890, mettant en application d'audacieuses idées pour l'époque en matière scolaire: cantine, gestion des fournisseurs et des établissements, démocratie directe. Féministe, Besant réclamera l'égalité civile, politique et économique sur fond de laïcité, en Angleterre comme en Inde. Son féminisme constant se teintera de théosophie, mais reste empreint d'activisme et de militantisme, notamment au moment de la lutte pour le suffrage féminin. M. Pécastaing-Boissière souligne que son désir de sacrifice à de grandes causes la conduit à la théosophie à laquelle elle se convertit publiquement en 1889, puis, lorsqu'elle part s'installer en Inde, au nationalisme indien qui sera son dernier combat. Nombre de ces derniers ne sont d'ailleurs pas dépassés et les analyses et les solutions que proposait Besant méritent d'être redécouvertes.

Annie Besant est un personnage médiatique et une communicante hors pair, elle est aussi une activiste infatigable, à l'origine de nombreuses associations, ligues, pétitions, groupes et collectifs pour faire connaître les causes qu'elle défend et mobiliser l'opinion publique, l'opinion de tous les publics. À cet égard, une attention plus soutenue aux différents types de publications et de périodiques qu'a pratiqués Besant aurait servi un ouvrage qui se distingue par la contextualisation qu'il apporte à toutes les causes d'Annie "la rouge": du sécularisme aux divergences entre les nationalismes indiens des années 1910 à 1930, en passant par les féminismes victoriens et édouardiens, et les vicissitudes de la théosophie. L'une des forces de cette monographie est de rappeler que l'éthique ou la morale, doublée de la recherche du bien commun, ont animé bien des parcours intellectuels et spirituels victoriens ou commencés à l'époque victorienne. Sans succomber à l'anachronisme qui juge le passé à l'aune du présent, l'ouvrage permet au lecteur de trouver des informations aussi claires que bienvenues pour retracer soixante années de vie intellectuelle, politique, sociale et spirituelle en Grande-Bretagne et en Inde. Le tour de force mérite d'être salué, soutenu qu'il est par un excellent appareil critique ouvrant de nombreuses pistes aux futurs chercheurs.

Représentations d'Annie Besant dans le musée Swatantrata Sangram Sanghralaya, Red Fort (New Delhi). Photographies de JB.

Dans son "Epilogue," l'auteur souligne à juste titre que la diversité des causes embrassées par Besant rend problématique la réception de ses écrits et de son parcours, d'abord en raison de la spécialisation universitaire actuelle diffractant son parcours intellectuel entre histoire de la libre-pensée, des religions, du socialisme, des féminismes et des nationalismes. Ensuite, et à côté du nationalisme indien toujours très problématique pour les Occidentaux, son sexe a pu constituer un facteur aggravant l'oubli injustifié dans lequel Besant est tombée. Cet oubli n'est pas mieux illustré que par la publication de cette monographie par une maison d'édition théosophique, les éditeurs universitaires sollicités ayant décliné le projet, au risque de priver cet ouvrage scientifique du lectorat qu'il mérite incluant, outre les victorianistes, les politistes, les historiens des religions, des idées, des médias et des femmes. S'il accompagne aussi bien le néophyte que le spécialiste par sa clarté stylistique et sa substantielle bibliographie, les victorianistes pourront s'estimer lésés de n'avoir pas les références aux textes originaux. Ceux-ci, il est vrai, sont fort bien traduits.

In fine, cet ouvrage pose la question de notre réception des Victoriens dont les écrits excèdent nos spécialisations universitaires. Il teste notre prétention à l'accueil de la diversité intellectuelle, à la mise en œuvre de la transdisciplinarité universitaire, et à la tolérance quant aux croyances minoritaires. M. Pécastaing-Boissière montre comment il est possible d'aborder ces questions en observant la distance critique du chercheur contemporain. Il est à souhaiter qu'une traduction en anglais de La lutte et la quête voie prochainement le jour.

*La première fut rédigée par S. Glachant, La Vie d'Annie Besant. Paris: Adyar, 1948. Routledge réédite la biographie de T. Besterman de 1934, Mrs Annie Besant: A Modern Prophet (2014).

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Bibliographie

Pécastaing-Boissière, Muriel, et Marie Terrier's Annie Besant (1847-1933): La lutte et la quête. Paris: Éditions Adyar, 2015. Broché. 276 pp. ISBN 978-2850003059. 19€.

[Illustration source] Besant, Annie Wood. Annie Besant: My Autobiography. London: Fisher Unwin, 1893. Internet Archive. Contributed by the University of California Libraries. Web. 3 Janvier 2016.


Created 3 January 2016