[L'auteur a généreusement partagé ce matériel de son Les Guillotinés de la Révolution Française. Nos lecteurs voudront peut-être visiter. — George P. Landow]

En six heures, la Constituante a fait plus qu'en trois mois et a effacé de usages vieux de plusieurs siècles. Une seule nuit, marquée du sceaux de l'enthousiasme et de l'unanimité, a suffi pour abattre les cadres sociaux de l'Ancien Régime. Inquiets, puis affolés par la grande Peur qui déferle depuis quinze jours dans les campagnes, les députés ont décidé de trancher dans le vif. Les privilèges les plus honnis, - des plus exorbitants comme la dîme - aux plus vexatoire, comme les droits de chasse, ont été abilos. Il faudra toutefois, dans les semaines a venir, donner forme et réalité à ces décision de principe prises pendant cette nuit de rêve.


Les députés se sont rasemblés sous la présidence de Le Chapelier vers 20 heures. La parole est donné à l'avocat Target, qui présente le projet d'arrêté discuté la veille: mettre fin au désordre régnant dans les campagnes. Le projet rappelle à tous les citoyens qu'il doivent respecter la propriété, continuer à payer redevances et impôts. L'Assemblée s'apprêtait à condamner les revendications paysannes.

A peine Target a-t-il fini de parler qu'un homme se lève précipitament et prend la parole. On le connaît bien: C'est le vicomte de Noailles. Il fait partie de la plus haute noblesse de France. Le vicomte déclare que, si l'on entend assurer la tranquillité publique, il faudrait non seulement supprimer les privilèges fiscaux, mais aussi renoncer aux droits féodaux contre leur rachat par les paysans. Quant à toutes les servitudes personnelles, elles devraient purement et simplement être abolies. Forte impression dans la salle... Un autre député se lève alor. C'est monsieur d'Aiguillon, duc et pair, immensément riche contrairement à Noailles qui est cadet de la famille. Dans un superbe élan, tout en condamnant les excès, il évoque "le malheureux cultivateur soumis au reste barbare des lois féodales" et parle "d'établir cette égalité de droit qui doit exister entre tous les hommes.

Le club breton, autour de Le Chapelier, se soit réuni la veille au soir et ait décidé de frapper un grand coup. Pour beaucoup, il était grand temps de mettre fin à l'édifice branlant de l'Ancien Régime et de proclamer haut et fort le principe d'égalité. En outre, cela permettrait de désamorcer le mécontentement des paysans, que la répression ne ferait qu'accentuer alors que les moissons attendent. Pour cela, il fallait que l'impulsion vint des privilégiés eux-mêmes. Si d'Aiguillon a chiffré le rachat des droits féodaux à trente fois le revenu d'une année, C'est qu'il est hors de question que le principe de la propriété soit mis en cause : un juste remboursement tels avaient été les derniers mots de son intervention...

Après une heure d'ivresse, le duc de la Rochefoucaut-Liancourt, grand maître de la garde-robe du roi, propose la frappe d'une médaille "pour éterniser la mémoire de l'union sincère de tous les ordres, de l'abandon de tous les privilège". Il ne s'agit plus de renonciation, mais de s'élever à un principe. Pour couronner le tout, l'archevêque de Paris fait adopter un projet de Te Deum. Il est près de 2 heures du matin, lorsque Lally-Tollendal engage l'Assemblée à proclamer Louis XVI "restaurateur de la liberté française". Vive le roi! La séance peut s'achever. Le président Le Chapelier procède à la lecture des principaux acquis de cette nuit quelque peu extraordinaire, une impressionnantes liste qui rejette dans le passé la France d'hier. Bien entendu, tout cela n'est pas exempt d'incertitudes ou de calculs. Mais cette nuit a consacré la victoire d'un grand principe qui porte en lui des germes inépuisables, dont l'égalité de tous les Français.


Dernière modification août 6 novembre 2010